Echec et Mat
Delphine LemaireTexte en lignes sur http://www.la-plume-et-lencrier.com/spip.php?article4326
Janvier 2007
De mémoire d’arbre on ne se souvenait pas avoir connu de nuit aussi froide que celle-ci. La bise s’était levée et la nature pétrifiée n’osait même pas grelotter, de peur de se rompre en mille morceaux. Un vieux sanglier bougon remuait désespérément les brindilles éparses sur le sol gelé en quête de quelque nourriture. Au fond des gîtes, terriers et autres refuges, les animaux serrés les uns contre les autres, tentaient de se réchauffer. La nuit qui venait était silencieuse et grave, chargée de peur et d’angoisse et tous espéraient l’aube encore lointaine d’une journée plus propice à la vie.
Soudain, des bruits de pas retentirent sur l’un des chemins faisant craquer les branches mortes, quelqu’un, le souffle court et le dos un peu voûté pour échapper à la morsure du vent, se dirigeait vers le riche manoir de Clairmarais,.
Sur son passage, se répandait une odeur sinistre de souffre et de mort. Les loups affamés tout d’abord alléchés par la possibilité d’un repas facile, s’écartaient, fuyant cet inconnu aux yeux de braise.
Arrivé au château, il se présenta sous le nom de Sire Brudemer, voyageur égaré surpris par le froid et la nuit. La châtelaine, émue par la délicatesse de ses manières et attirée par la hardiesse de son regard lui proposa l’hospitalité pour la nuit.
Face à la cheminée devant laquelle il se réchauffait, il lui raconta une bien étrange histoire : « J’ai fait le serment de venir jusqu’en ces lieux afin de rendre compte d’un mystérieux message qu’un vieillard m’a chargé de transmettre au seigneur de Clairmarais. »
Intriguée la jeune femme entreprit de le questionner et apprit que le vieillard en question n’était autre que le mari de la nourrice, à qui le Comte d’Erin, son père, l’avait confiée alors qu’elle n’était encore qu’un nourrisson. Brudemer lui révéla alors que la petite comtesse était morte une nuit, sans que personne n’en connaisse la raison et que par peur des représailles, le couple avait substitué au cadavre leur propre fille, c’est à dire elle. Atterrée la jeune femme, craignant d’être répudiée par son époux apprenant qu’elle n’était pas de noble naissance, demanda conseil à Brudemer. Celui-ci l’assura de son silence et lui conseilla de faire disparaître le vieillard rendu trop bavard par la misère et la maladie.
Effrayée mais désespérée, elle se décida à suivre le chevalier vers la poterne du château où dormait le mendiant. Et là, mue par une force qu’elle n’aurait jamais osé soupçonner, elle planta un couteau dans le cœur du vieil homme puis s’en retourna à l’abri derrière les épais murs de pierre.
Quelques minutes après son crime, les sabots des chevaux résonnèrent dans la cour pavée. Le châtelain de Claimarais était de retour après de longs jours de chasse, mais son destrier, refusant de lui obéir, le mena droit vers le corps du vieillard expirant. Le seigneur mit pied à terre et se penchant sur l’agonisant recueillit ses dernières paroles : l’aveu de la supercherie concernant les enfants et le parricide perpétré par sa jeune femme.
A la fois ivre de colère et incrédule, le maître des lieux trouva son épouse jouant aux échecs avec Brudemer, et lui demanda des explications sur la tragédie dont elle était l’instigatrice. Mais celle-ci au lieu de lui répondre éclata d’un rire satanique, une étrange lueur dans le regard. Comprenant le drame qui se jouait au cœur même de sa maison, le suzerain clairvoyant abandonna son château à son épouse et à Brudemer, sachant d’ores et déjà que la lutte était impossible. Le monstrueux chevalier ne tarda pas à reprendre son apparence réelle, celle d’un démon infâme et hideux et emporta à sa suite la châtelaine dans les flammes ardentes de l’enfer.
Le château ainsi abandonné devint un lieu maléfique où d’étranges créatures malfaisantes faisaient régner la terreur jusqu’au village voisin. La nuit, de curieuses lueurs rougeoyantes s’élevaient jusqu’au ciel et des rires diaboliques résonnaient se mêlant à des cris de terreur et d’épouvante. On dit que des paysans imprudents et quelques voyageurs surpris par le soir tombant disparurent entre les murs sombres de l’ancienne demeure, hantée par le noir démon Brudemer les obligeant à jouer leur âme lors d’une macabre partie d’échecs.
Une nuit, le château reçut une étonnante visite. Un moine de l’Abbaye voisine de Saint Bertin, intrigué par ces rumeurs curieuses, décida d’y mettre un terme fort de sa foi inébranlable. Après avoir longé un étroit couloir en ruines, il pénétra dans une grande salle où un chevalier et une noble dame l’invitèrent à s’asseoir devant un magnifique échiquier d’ébène et d’ivoire.
La partie d’échecs venait de commencer.
Au fur et à mesure de son déroulement, la pièce s’emplit d’une multitude de personnes : valets en livrées, petits pages aux vêtements colorés, seigneurs et nobles demoiselles vêtues de riches atours et parées de bijoux précieux. Chacun s’activait, parlait, riait et le moine un peu décontenancé par tout ce qui l’entourait perdit peu à peu l’attention que requérait l’enjeu. A chaque fois, qu’il pensait pouvoir faire mat Brudemer, la jeune femme désignait du doigt une pièce qui relançait la partie et déclenchait les rires mauvais des spectres lucifériens. Le pauvre moine sentit que son âme lui échappait et implora Saint Benoît de lui venir en aide. Soudain, au moment où tout lui sembla perdu, il entrevit une parade lui permettant de faire échec et mat le triste sire de Brudemer. A l’instant même où il bougea la pièce sur l’échiquier, les rires cessèrent et se transformèrent en cris abominables sortis tout droit des entrailles méphistophéliques de la terre. Succédant à ce vacarme assourdissant un silence angoissant envahit l’espace, se déposant sur les pierres comme un brouillard épais.
Le moine terrorisé, les yeux fermés s’agenouilla et pria jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Lorsque enfin, il se releva, il vit sur le fauteuil où se trouvait la châtelaine maudite, le squelette d’une femme aux vêtement en lambeaux. Il lui offrit une sépulture décente et bénit sa tombe afin que son âme puisse trouver le repos. Du château de Claimarais, il fit un monastère dont il ne reste aujourd’hui que quelques ruines.
Si un jour vos pas vous mènent en ces lieux, il se peut que vous aperceviez le spectre d’une dame vêtue de blanc. Si vous ne craignez pas l’avenir, regardez ses mains, si elle porte des gants blancs, le bonheur viendra frapper à votre porte, s’ils sont noirs, prenez garde, la mort rôde autour de vous !
Soudain, des bruits de pas retentirent sur l’un des chemins faisant craquer les branches mortes, quelqu’un, le souffle court et le dos un peu voûté pour échapper à la morsure du vent, se dirigeait vers le riche manoir de Clairmarais,.
Sur son passage, se répandait une odeur sinistre de souffre et de mort. Les loups affamés tout d’abord alléchés par la possibilité d’un repas facile, s’écartaient, fuyant cet inconnu aux yeux de braise.
Arrivé au château, il se présenta sous le nom de Sire Brudemer, voyageur égaré surpris par le froid et la nuit. La châtelaine, émue par la délicatesse de ses manières et attirée par la hardiesse de son regard lui proposa l’hospitalité pour la nuit.
Face à la cheminée devant laquelle il se réchauffait, il lui raconta une bien étrange histoire : « J’ai fait le serment de venir jusqu’en ces lieux afin de rendre compte d’un mystérieux message qu’un vieillard m’a chargé de transmettre au seigneur de Clairmarais. »
Intriguée la jeune femme entreprit de le questionner et apprit que le vieillard en question n’était autre que le mari de la nourrice, à qui le Comte d’Erin, son père, l’avait confiée alors qu’elle n’était encore qu’un nourrisson. Brudemer lui révéla alors que la petite comtesse était morte une nuit, sans que personne n’en connaisse la raison et que par peur des représailles, le couple avait substitué au cadavre leur propre fille, c’est à dire elle. Atterrée la jeune femme, craignant d’être répudiée par son époux apprenant qu’elle n’était pas de noble naissance, demanda conseil à Brudemer. Celui-ci l’assura de son silence et lui conseilla de faire disparaître le vieillard rendu trop bavard par la misère et la maladie.
Effrayée mais désespérée, elle se décida à suivre le chevalier vers la poterne du château où dormait le mendiant. Et là, mue par une force qu’elle n’aurait jamais osé soupçonner, elle planta un couteau dans le cœur du vieil homme puis s’en retourna à l’abri derrière les épais murs de pierre.
Quelques minutes après son crime, les sabots des chevaux résonnèrent dans la cour pavée. Le châtelain de Claimarais était de retour après de longs jours de chasse, mais son destrier, refusant de lui obéir, le mena droit vers le corps du vieillard expirant. Le seigneur mit pied à terre et se penchant sur l’agonisant recueillit ses dernières paroles : l’aveu de la supercherie concernant les enfants et le parricide perpétré par sa jeune femme.
A la fois ivre de colère et incrédule, le maître des lieux trouva son épouse jouant aux échecs avec Brudemer, et lui demanda des explications sur la tragédie dont elle était l’instigatrice. Mais celle-ci au lieu de lui répondre éclata d’un rire satanique, une étrange lueur dans le regard. Comprenant le drame qui se jouait au cœur même de sa maison, le suzerain clairvoyant abandonna son château à son épouse et à Brudemer, sachant d’ores et déjà que la lutte était impossible. Le monstrueux chevalier ne tarda pas à reprendre son apparence réelle, celle d’un démon infâme et hideux et emporta à sa suite la châtelaine dans les flammes ardentes de l’enfer.
Le château ainsi abandonné devint un lieu maléfique où d’étranges créatures malfaisantes faisaient régner la terreur jusqu’au village voisin. La nuit, de curieuses lueurs rougeoyantes s’élevaient jusqu’au ciel et des rires diaboliques résonnaient se mêlant à des cris de terreur et d’épouvante. On dit que des paysans imprudents et quelques voyageurs surpris par le soir tombant disparurent entre les murs sombres de l’ancienne demeure, hantée par le noir démon Brudemer les obligeant à jouer leur âme lors d’une macabre partie d’échecs.
Une nuit, le château reçut une étonnante visite. Un moine de l’Abbaye voisine de Saint Bertin, intrigué par ces rumeurs curieuses, décida d’y mettre un terme fort de sa foi inébranlable. Après avoir longé un étroit couloir en ruines, il pénétra dans une grande salle où un chevalier et une noble dame l’invitèrent à s’asseoir devant un magnifique échiquier d’ébène et d’ivoire.
La partie d’échecs venait de commencer.
Au fur et à mesure de son déroulement, la pièce s’emplit d’une multitude de personnes : valets en livrées, petits pages aux vêtements colorés, seigneurs et nobles demoiselles vêtues de riches atours et parées de bijoux précieux. Chacun s’activait, parlait, riait et le moine un peu décontenancé par tout ce qui l’entourait perdit peu à peu l’attention que requérait l’enjeu. A chaque fois, qu’il pensait pouvoir faire mat Brudemer, la jeune femme désignait du doigt une pièce qui relançait la partie et déclenchait les rires mauvais des spectres lucifériens. Le pauvre moine sentit que son âme lui échappait et implora Saint Benoît de lui venir en aide. Soudain, au moment où tout lui sembla perdu, il entrevit une parade lui permettant de faire échec et mat le triste sire de Brudemer. A l’instant même où il bougea la pièce sur l’échiquier, les rires cessèrent et se transformèrent en cris abominables sortis tout droit des entrailles méphistophéliques de la terre. Succédant à ce vacarme assourdissant un silence angoissant envahit l’espace, se déposant sur les pierres comme un brouillard épais.
Le moine terrorisé, les yeux fermés s’agenouilla et pria jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Lorsque enfin, il se releva, il vit sur le fauteuil où se trouvait la châtelaine maudite, le squelette d’une femme aux vêtement en lambeaux. Il lui offrit une sépulture décente et bénit sa tombe afin que son âme puisse trouver le repos. Du château de Claimarais, il fit un monastère dont il ne reste aujourd’hui que quelques ruines.
Si un jour vos pas vous mènent en ces lieux, il se peut que vous aperceviez le spectre d’une dame vêtue de blanc. Si vous ne craignez pas l’avenir, regardez ses mains, si elle porte des gants blancs, le bonheur viendra frapper à votre porte, s’ils sont noirs, prenez garde, la mort rôde autour de vous !
Merci à l'auteur pour ce joli conte aux accents échiquéens
et au Webmaster de La Gazette de la Plume avec qui j'ai pris contact.
Bravo pour ces travaux d'écriture !
http://www.la-plume-et-lencrier.fr/index.php
et au Webmaster de La Gazette de la Plume avec qui j'ai pris contact.
Bravo pour ces travaux d'écriture !
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