samedi 21 mars 2009

176- La seconde pièce d'échecs - Laurent Georget

La seconde pièce d'échecs


La scène représente le bureau d'un commisaire de police. On y voit un détective, le commissaire assis à une table sur laquelle est posé un jeu d'échecs et un homme de l'autre côté.


LE COMMISSAIRE : Bon, reprenons, voulez-vous ? Vous affirmez donc avoir été tué. Pouvez- vous décrire votre agresseur ?

L'HOMME : Euh oui. Alors, il était grand, brun aux yeux marrons.

LE COMMISSAIRE : Ah, un peu comme vous en fait.

L'HOMME : Oui, voilà.

LE COMMISSAIRE : Autre détail ?

L'HOMME : Oui, avant de me tuer, il m'a soumis ce terrible problème. (il met les pièces en place)

LE COMMISSAIRE et LE DETECTIVE : (ensemble) Quel terrible problème !

L'HOMME : Comme vous le voyez ! Il m'a promis la vie sauve si jamais je lui fournissais la réponse mais j'étais tellement obsédé par l'idée de la trouver que j'en ai perdu tous mes moyens et que j'ai dû donner ma langue au chat. Cependant, à ma demande, il m'a donné la solution du problème.

LE DETECTIVE : (intéressé) Pourquoi vouliez-vous la connaître ?

L'HOMME : Pour ne pas avoir l'air de mourir idiot, bien sûr.

Le commissaire regarde d'un air interrogateur le détective qui lui hoche la tête d'un air approbateur.

LE DETECTIVE : C'est une réponse acceptable.

L'HOMME : Il m'a donc donné cette réponse très basique en somme (il montre) , j'en garde un souvenir acide... enfin je veux dire...

LE COMMISSAIRE : Nous avons compris, ce sera tout pour aujourd'hui, feu cher monsieur. Nous allons mener l'enquête, nous tiendrons évidemment au courant votre famille.

L'HOMME : Merci. (il s'en va)

LE COMMISSAIRE : Que pensez-vous de cela, cher ami ?

LE DETECTIVE : Nous ferions mieux d'inspecter la scène du crime notre défunt plaignant nous a indiqué.

LE COMMISSAIRE : D'accord. (ils passent côté jardin)

LE DETECTIVE : Comme c'est étrange, un couteau propre, des taches de sang partout et des pièces d'échecs qui trainent mais pas trace du cadavre du mort que nous avons vu tantôt. L'un de vos hommes l'a-til déplacé ?

LE COMMISSAIRE : Dieu me savonne, non ! Ce matin, une équipe qui faisait sa patrouille est tombé en arrêt devant cette cour où trainait le cadavre. Nous sommes tous accouru et l'affaire paraissant ténébreuse, nous avons fait appel à vos légendaires compétences et...

LE DETECTIVE : Un instant, comment saviez-vous que l'affaire était ténébreuse ?

LE COMMISSAIRE : Eh bien, il était six heures du matin et dans cette cour le soleil ne pénètre correctement qu'aux alentours de midi lorsque le soleil est au zénith à cause des quatre barres HLM qui nous entourent.

LE DETECTIVE : Une configuration astronomico-géographique propice aux meurtres, je commence à comprendre. Poursuivez, je vous en prie.

LE COMMISSAIRE : Donc, j'ai laissé un agent en faction, le reste a regagné le commissariat et moi, je suis allé vous trouver.

LE DETECTIVE : Un policier en faction, dites-vous ? Où cela ?

LE COMMISSAIRE : Tiens, oui. Où est-il ?

LE DETECTIVE : Le mystère s'épaissit. Tiens, un soulier, là-bas. (ils le ramassent et l'examinent)

LE COMMISSAIRE : Il fait partie de l'uniforme du commissariat. Il est formellement interdit de quitter son soulier, pourtant, même losque l'on est assis devant son bureau. Que faisons- nous, alors ? Il a dû arriver malheur au pauvre homme.

LE DETECTIVE : Je suggère que l'on regarde sous cette couverture. (ils regardent)

LE COMMISSAIRE : Malheureusement, ce n'est que le cadavre du policier disparu. Voyons ailleurs. (Il laissse retomber la couverture)

LE DETECTIVE : (une lueur de génie dans les yeux) Allons arrêter le prétendu mort.

Ils sortent, on les entend faire le tour puis ils rentrent côté cour encadrant le prétendu mort.

LE DETECTIVE : Allons, avouez tout.

L'HOMME : Eh bien, oui, j'ai menti, je ne suis pas mort. C'était une mise en scène.

LE DETECTIVE : A quel fin ?

L'HOMME : J'ai souscrit il y a quelques années une assurance qui me arantissait contre la perte définitive de balles du pistolet que je venais alors d'acheter.

LE DETECTIVE : Pour frauder, vous auriez pu tirer en l'air.

L'HOMME : On aurait pu dire que je l'avais dissimulé, ce qui d'un certain point de vue aurait été vrai tandis que si l'on me tuait avec une arme, le vol était avéré.

LE DETECTIVE : Cela aurait marché si vous n'aviez pas déposé un couteau mais bien votre pistolet dans la scène de crime.

L'HOMME : Je me suis rendu compte de cette méprise, aussi lorsque j'ai vu qu'un policier restait en faction devant la scène de crime, j'ai vu que là était ma chance. J'ai cessé de faire le mort, je me suis levé et j'ai entrepris d'escalader la barre HLM où j'habite.

LE COMMISSAIRE : (incrédule) Sous les yeux du policier ?

L'HOMME : Il ne me regardait pas moi, me sachant mort, mais l'unique accès menant à la cour où je faisais semblant de reposer.

LE COMMISSAIRE : Cet homme était drôlement malin. Il va falloir penser à le faire commissaire à titre posthume.

L'HOMME : Je suis donc rentré chez moi par la fenêtre, j'ai pris le pistolet, je suis redescendu par le même chemin, j'ai tué le policier, je l'ai trainé àtravers la cour jusqu'à la couverture, dispersant ainsi du sang qui rendait l'affaire plus crédible et enfin, j'ai enlevé la chausssure droite du véritable mort pour lui donner une allure de cadavre plus naturelle et enfin j'ai dispersé quelques pièces d'échecs et je suis allé vous trouver. Je vous ai raconté cette histoire de problème d'échecs pour vous faire croire à un crime de maniaque des échecs revenu sur le lieu de son crime et assassinant un policier. Je serais curieux de savoir comment vous m'avez démasqué.

LE DETECTIVE : Je raconterais tout cela au procès. Allons, emmenez-le, cher ami.

Le policier l'emmène puis revient.

LE COMMISSAIRE : A moi, vous pouvez bien le dire tout de même.

LE DETECTIVE : Soit. Je me suis souvenu à la scène de crime de la déclaration qu'il nous avait faite à propos du problème d'échecs. Vous savez, cette histoire de solution basique et de souvenir acide.

LE COMMISSAIRE : Oui, oui, je m'en souviens. Et alors ?

LE DETECTIVE : Alors, je suis allé consulter l'expert chimiste du laboratoire de police et j'ai eu la confirmation de ce que je pensais. L'homme nous avait fait une fausse déclaration, il nous avait fait une fausse déclaration et de là, j'en ai déduit tout ce que vous avez entendu.

LE COMMISSAIRE : Prodigieux. Mais quel est le lien entre sa déclaration et la chimie.

LE DETECTIVE : Eh bien, une solution, fût-elle celle d'un problème d'échecs ne peut pas être à la fois basique et acide. C'est chimiquement impossible. En fait, notre homme a voulu dire « j'en garde un souvenir amer » mais sa langue a fourché et il s'est trahi.

LE COMMISSAIRE : Véritablement prodigieux. Mais en fait cette pièce de théâtre dont nous sommes les personnages n'a aucun lien avec les échecs.

LE DETECTIVE : Eh non. Mais faisons semblant.

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